Chose promise ;)
Parlons donc de cette merveille qui est pour moi LE roman de
Jane Austen a un tel point que je l’ai offert il y a quelques jours à une amie
car je voulais en faire une janéite et je me suis dit qu’il était le meilleur
livre pour le devenir.
Il commence pourtant mal, comme si Elizabeth avait repris sa
parole à Darcy quoi et tel un film américain on se retrouve 8 ans plus tard. ^^
Pourtant Persuasion est bien plus que cela, bien que très court il brasse tout
ce qui fait la réputation de Jane.
Je l’ai déjà dit dans la chronique filmique ou la citation
du jour #7 mais je repose le contexte :Anne Elliott est la fille d’un
baronnet qui vit tellement au-dessus de ses moyens qu’il est obligé de louer la
demeure de sa famille. Le nouvel habitant est l’amiral Croft dont l’épouse est
la sœur de Frederic Wentworth : ce dernier et Anne se sont rencontrés il y
a 8 ans, passionnément épris ils se sont fiancés mais Anne a rompu leur
fiançailles avant l'annonce officielle sur conseil de sa marraine car le jeune
homme était un capitaine de marine novice, sans fortune et sans
« connexion ». Depuis Anne est en dépression, elle a donc perdu
sa joie de vivre, sa « fraîcheur » ce qui l’a rend encore plus
indésirable pour sa vaine famille, son père et sa sœur aînée Elizabeth, car en
plus elle est responsable, intelligente et calme (que des défauts pour eux ^^).
A 27 ans elle est donc « une vieille fille » et sa famille ne l’estime
pas, donc au lieu de l’emmener à Bath avec eux ils l’envoient jouer les garde
malade chez la plus jeune des sœurs, Mary, qui est une incurable hypocondriaque
mais la seule à être mariée et mère. Cette responsabilité va l’amener à
recroiser Frederick car Mary habite près de la demeure ancestrale des Elliott,
et à affronter la froideur et le ressentiment de son ancien amour qu’elle aime
toujours profondément.
C’est mon favori car c’est
finalement le plus « ouvert ». L’histoire qui a existé entre les deux
protagonistes donne un ton différent à l’histoire et surtout à leur relation.
Ils lisent l’un en l’autre (enfin surtout Anne puis Wentwoth quand il arrête de
ruminer ^^). On a accès aux pensées de Anne de façon claire, on sait ce qu’elle
ressent pour Frederick bien qu’elle le nie effrontément mais c’est tout l’art
de Jane, Anne dit quelque chose en son for intérieur mais on comprend bien que
c’est parfois tout l’inverse qui s'avère être vrai comme quand elle est persuadée que
la première rencontre avec son ancien amour va permettre de nouvelle rencontres
libérées d’une possible gêne sauf que l’on comprend bien que c’est du flanc et
qu’elle est toute chamboulée. Et puis, c’est minime, mais le fait qu’elle le
prénomme Frederick quand elle parle de lui, crée une connexion entre eux
contrairement aux autres relations nées de la plûme de notre prêtresse où les
noms de famille et autres monsieur sont de rigueur.
Je trouve que l’ironie de Jane
Austen est ici plus fine, tranchante et va droit au but. Depuis le père
narcissique au possible qui favorise sa fille aînée car tel Narcisse elle
représente son reflet, à la jeune Mary qui est insupportable de caprices tant
elle n’a jamais su autrement capter l’attention paternelle toute tournée vers
Elizabeth. En passant par les Musgrove père et mère qui se donnent des airs de
sympathie bienveillante quand Anne arrive mais sont en réalité d’une certaine
fatuité et d’un certain ridicule. Cela est d’ailleurs flagrant dans le
traitement de leur second fils (Jane Austen lache d’ailleurs la bride à tout
son mordant dans cette courte description mais qui a le don, à mon sens, d’éclairer
vraiment les Musgrove), sans parler de
leurs filles qui sont je pense, une critique acerbe de Jane sur les fameux « accomplishement »
qui sont finalement des talents assez surfaits quand on voit que les jeunes
filles Musgrove sont finalement des coquilles vides sans grande consistances
finalement, shadow and dust comme dirait l’ami Proximo ^^.
Sans oublier Benwick
sorte de Chateaubriand anglais qui aime à se complaire dans sa douleur en
lisant de la poésie car il pense finalement que c’est comme ça qu’il doit agir
mais qui ne peut s’empêcher d’épouser la première femme qui le met dans une
position de « dominant » alors qu’il est techniquement un veuf au
bord du suicide. Ici d’ailleurs, il va s’en dire que Jane critique ouvertement ceux qui font du monde le témoin de leur
douleur, comme si le chagrin ne pouvait être contenu. Comme si la souffrance se mesurait à l'aune de sa visibilité.
Passons maintenant à Anne. Malgré
ce que l’on pense, c’est l’un des personnages féminins les plus forts de Jane Austen. En
effet, elle allait braver l’ire de son père pour se marier à 19 ans mais elle a
su comprendre les arguments de sa marraine (non dénués d’intelligence quoiqu’un
peu trop présomptueux finalement) mais c’est une décision qu’elle a estimé
juste et en a assumer les conséquences. Et contrairement à Benwick elle a porté
le deuil, littéralement, et a souffert et ce en silence pendant 8 ans, et cela c’est
de la force de caractère. Tout comme le fait de refuser le pourtant bien né
Charles Musgrove, que sa marraine affectionne, car elle refuse un
mariage sans amour et donc sans Wentworth, et ce même si elle doit finir
vieille fille. L'identification est encore plus frappante qu'avec les autres héroïnes grâce à sa réserve et son sérieux, enfin en ce qui me concerne ^^. Quand le roman commence Anne a grandi et se permet d’analyser
froidement son attitude d’il y a 8 ans et c’est là que l’on comprend que c’est
une femme car elle est capable de faire le tri dans ses décisions, sans pour
autant les regretter ni avec amertume, mais en tirant les conclusions qui la feront avancer. De
fait, quand le roman commence elle est finalement plus adulte que Frederick car
elle est libérée de toute rancœur ou colère, elle a accepté ce qu’il s’est
passé et veut maintenant avancer en bonne intelligence avec Frederick même si
cela lui arrache le cœur de le voir s’attacher à une autre.
Parlons-en d’ailleurs du beau
capitaine. Déjà dès le début on connait son prénom ^^ (on ne rigole pas!! que
celle qui est capable de dire le prénom de Darcy sans google lève la main ahah)
et ca le rend plus humain. Je pense que c’est finalement ce qui fait de
Wentwoth ce qu’il est : c’est pour moi le plus humain des héros
austeniens. Je m’explique. Déjà ce n'est pas un "héritier", ce qu'il possède il a combattu pour l'avoir, c'est le récompense de sa bravoure au combat, son argent il s'est littéralement battu pour l'obtenir. En clair c'est un homme, un vrai. Il a affronté la mort, il a dû en être témoin, mais il continue le combat. Il est valeureux et couragueux. Mais ce gars a aussi trouvé son grand amour mais elle l’a planté
sur conseil de sa marraine. Mettons-nous à sa place, son cœur est carrément
passé à la moulinette d’une et de deux, la femme que lui aime de toute son âme
fait passer les conseils de sa seconde mère avant lui : niveau confiance en soi
il a du toucher le fond! Il est donc reparti en mer, et coup de bol, les Français se sont pris de grosses déculottées à l’époque (merci Napoléon !),
il est donc adulé par ses hommes, respecté par sa hiérarchie et en plus riche
(l’un de ses défauts selon lady Russel). Autrement dit dans un film américain
se serait le roi du bahut ^^. Donc quand il revient, et qu’il sait qu’il va
voir Anne il en fait des tonnes : il montre bien qu’il a réussi, fait
état de ses victoires, de sa prodigieuse carrière, en gros il veut lui montrer
à quel point elle a eu tort. Il est amer, froid, blessant et tout cela se voit
dans son attitude envers Louisa Musgrove. Il la laisse jouer avec lui sans la repousser car il veut blesser Anne,
lui prouver qu’il est un homme désirable et peut avoir une jeune et belle
épouse. Il arrive même à la convaincre…au début du moins. Car si le lecteur
décèle une attitude factice chez Frederick on en a vraiment la preuve, et Anne
aussi, après la longue marche qui les amène vers un cousin des Musgrove. Bien
qu’il n’en ait pas fait montre, il a observé Anne et s'est rendu compte de son
extrême fatigue et il oblige donc sa sœur à la prendre dans son cabriolet puis il force
Anne à monter dedans. Il l'a touche même et à cette époque un contact physique n'est pas anodin ni sans portée. Bien qu’il le nie, il ne peut s’empêcher de faire
attention à elle, de prendre soin d’elle. Son attitude avec Louisa est
révélatrice, il joue pour blesser Anne et se venger en quelque sorte, ce qui
explique son extrême désarroi après la chute de la jeune femme car il se sent
coupable d’avoir attisé cette flamme par rancœur alors que tout cela a mise en danger la jeune femme. Puis la jalousie qu’il a
voulu susciter se retourne contre lui quand il se rend compte qu’un homme
regarde Anne avec admiration, on le sent bouillonner à travers les lignes. En
côtoyant Anne, en l’observant secrètement il finit même par la comprendre, et
accepter les raisons de sa rétractation, à comprendre plainement la force de son caractère. Et puis surtout, même s’il a tout fait
pour la haïr, on voit bien que dès qu’il la revoit il se reprend ses sentiments
en plein dans la tête mais il est fier et blessé alors il se cache derrière ce
masque de capitaine auréolé de gloire jusqu’à ce qu’il entende la douleur de
Anne et découvre la réelle souffrance qu’elle cache elle aussi derrière son
masque de jeune femme sérieuse et responsable, il comprend que sa passion et sa
souffrance n’ont d’égales que les siennes. Alors pour une fois, Jane nous donne
à voir une déclaration d’amour, une vraie, une magnifique, une poignante
déclaration d’amour, tellement humaine et vraie, à la hauteur de ce personnage
tellement humain qu’est Frederick Wentworth.
Qu’ajouter d’autre ?
En parsemant son ouvrage de
multiples formes de couples, Jane nous explique que l’Amour Vrai et Durable ne
peut prendre forme qu’entre deux personnes honnêtes & vraies envers elles-mêmes
mais surtout entre elles. Que l’attachement,
l’amour, la souffrance, ne se juge pas à sa mise en scène mais à sa profondeur.
Voilà j’espère ne pas en avoir trop
dit mais je pourrais en parler pendant des heures :)